- 29 septembre 2020
Louer en meublé sans autorisation peut coûter cher au bailleur ! C’est ce que vient de confirmer la Cour de Justice de l’Union Européenne. Il s’agit ici d’un point relatif aux dangers de la location saisonnière (ou du meublé de tourisme au sens de l’article D324-1 du code du tourisme). En cas d’infraction, les sanctions pécuniaires sont extrêmement lourdes notamment suite à un durcissement ces dernières années.
I. Les faits à l’origine du contentieux
Deux sociétés ont donné en location meublée de courte durée des studios parisiens, à une clientèle de passage par le biais d’une plateforme internet. La ville de Paris a infligé à ces sociétés des amendes pour défaut de respect de la réglementation applicable à cette activité.
Pour mémoire, les sanctions pour non-respect du formalisme administratif (préalable à la mise en location saisonnière) varient entre 5 000 € et 50 000 € par logement, avec de surcroit une astreinte judiciaire pouvant atteindre 1 000 € par jour et par mètre carré loué…
II. Contentieux national
A. Cour d’appel
Par deux arrêts des 19 mai et 15 juin 2017, la cour d’appel de Paris a constaté que les studios en cause, avaient été proposés à la location sur un site Internet et avaient fait l’objet, sans autorisation préalable et de manière répétée, de locations de courte durée à l’usage d’une clientèle de passage, en violation des dispositions de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation.
La Cour d’appel a donc confirmé la sanction pécuniaire sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation.
B. Cour de cassation
Les sociétés se sont pourvues en cassation. Leur axe de défense réside dans la primauté du droit européen sur le droit français.
Si les règles européennes et françaises diffèrent, le droit français trouvera à s’appliquer si l’on justifie son application par une « raison impérieuse d’intérêt général. »
La loi française conduirait à une « restriction à la libre prestation de services » (la location saisonnière sur Paris en l’espèce) incompatible avec la directive européenne 2006/123 et plus particulièrement à ses article 9 et 10.
Dans ce contexte, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de solliciter la Cour de Justice de l’union européenne.
III. Contentieux européen
Notons bien que la CJUE a statué sur le droit applicable au moment des faits. Depuis, les règles ont évolué et se sont même durcies eu égard au bailleur qui souhaite réaliser une activité de location saisonnière.
A. La CJUE a examiné quatre normes juridiques
1. Le code du tourisme
a. Une déclaration préalable
L’article L. 324-1-1 du code du tourisme, dans sa rédaction applicable au litige dispose :
« Toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme, que celui-ci soit classé ou non au sens du présent code, doit en avoir préalablement fait la déclaration auprès du maire de la commune où est situé le meublé.
Cette déclaration préalable n’est pas obligatoire lorsque le local à usage d’habitation constitue la résidence principale du loueur, au sens de l’article 2 de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi no 86-1290 du 23 décembre 1986. »
b. Une sanction à défaut de déclaration
Il s’agit d’une déclaration préalable et non d’une autorisation. Cela signifie que la mairie ne peut pas s’opposer à la location saisonnière sur la base de cet article. Notons toutefois, que le défaut de cette déclaration peut conduire à une sanction pécuniaire à savoir une amende de 3ème catégorie soit 450 €.
c. Une autorisation qui peut concerner la résidence principale du bailleur
Il est à noter que lorsque le bien loué (en meublé de tourisme) constitue la résidence principale du bailleur, les dispositions de l’article L324-1-1 du code du tourisme ne trouve pas à s’appliquer. Depuis lors, la législation a évolué, le conseil municipal peut désormais exiger une déclaration préalable y compris pour la résidence principale du bailleur. Les sanctions en cas de non-respect de ce formalisme sont, de surcroit, plus importantes que lorsque le bien ne constitue pas l’habitation principale du bailleur.
2. Le code de la construction et de l’habitation
a. une autorisation préalable
L’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation prévoit notamment que, dans les communes de plus de 200 000 habitants et dans celles des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est soumis à autorisation préalable. En effet, le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée et pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage :
« L’autorisation préalable au changement d’usage est délivrée par le maire de la commune dans laquelle est situé l’immeuble, après avis, à Paris, Marseille et Lyon, du maire d’arrondissement concerné. Elle peut être subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.
L’autorisation de changement d’usage est accordée à titre personnel. Elle cesse de produire effet lorsqu’il est mis fin, à titre définitif, pour quelque raison que ce soit, à l’exercice professionnel du bénéficiaire. Toutefois, lorsque l’autorisation est subordonnée à une compensation, le titre est attaché au local et non à la personne. Les locaux offerts en compensation sont mentionnés dans l’autorisation qui est publiée au fichier immobilier ou inscrite au livre foncier.
L’usage des locaux définis à l’article L. 631-7 n’est en aucun cas affecté par la prescription trentenaire prévue par l’article 2227 du code civil.
Pour l’application de l’article L. 631-7, une délibération du conseil municipal fixe les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées les compensations par quartier et, le cas échéant, par arrondissement, au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements. […] »
b. Une exclusion de la résidence principale du bailleur
Selon l’article L. 631-7-1 A du code de la construction et de l’habitation, aucune autorisation de changement d’usage n’est en revanche nécessaire lorsque le local constitue la résidence principale du loueur au sens de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 c’est-à-dire lorsque le logement est occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure soit par le loueur ou son conjoint, soit par une personne à charge.
c. Une sanction à défaut d’autorisation préalable
L’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation, dans sa rédaction applicable aux faits au principal, dispose (dans sa version en vigueur à l’époque des faits) :
« Toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende de 25 000 euros.
Cette amende est prononcée à la requête du ministère public par le président du tribunal de grande instance du lieu de l’immeuble, statuant en référé ; le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est située l’immeuble.
Le président du tribunal ordonne le retour à l’habitation des locaux transformés sans autorisation dans un délai qu’il fixe. À l’expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d’un montant maximal de 1 000 euros par jour et par mètre carré utile des locaux irrégulièrement transformés. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé l’immeuble.
Passé ce délai, l’administration peut procéder d’office, aux frais du contrevenant, à l’expulsion des occupants et à l’exécution des travaux nécessaires. »
3. Le code général des collectivités territoriales
L’article L. 2121-25 du code général des collectivités territoriales prévoit que les comptes rendus des séances du conseil municipal sont affichés en mairie et mis en ligne sur le site Internet de la commune.
Ainsi, il est impossible pour un administré de dire qu’il ne savait, les décisions prises en mairie faisant l’objet d’un communication physique et digitale.
4. Le règlement municipal adopté par le conseil de Paris
L’article 2 du règlement municipal fixe les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation. De plus, il détermine les compensations que peut exiger la mairie pour délivrer cette autorisation préalable :
« I – La compensation consiste en la transformation en habitation de locaux ayant un autre usage que l’habitation […] et n’ayant pas déjà été utilisés à titre de compensation.
Les locaux proposés en compensation doivent cumulativement :
- a) correspondre à des unités de logement, et être de qualité et de surface équivalentes à celles faisant l’objet du changement d’usage, […] ;
- b) être situés dans le même arrondissement que les locaux d’habitation faisant l’objet du changement d’usage. […]
II – Dans le secteur de compensation renforcée […], les locaux proposés en compensation doivent représenter une surface double de celle faisant l’objet de la demande du changement d’usage, sauf si ces locaux sont transformés en logements locatifs sociaux faisant l’objet d’une convention […] d’une durée minimale de 20 ans.
Par dérogation […], la compensation en logements locatifs sociaux de locaux transformés dans le secteur de compensation renforcée peut être située dans l’ensemble de ce secteur. Toutefois, si les locaux transformés sont situés dans les 1er, 2ème, 4ème, 5ème, 6ème, 7ème, 8ème, 9ème arrondissements, où le déficit de logements par rapport à l’activité est particulièrement marqué, 50 % au plus de la surface transformée pourra être compensée en dehors de l’arrondissement de transformation. […]
Lorsque la totalité de la compensation peut être proposée en dehors de l’arrondissement de transformation, le nombre de logements offerts en compensation doit être au minimum identique au nombre de logements supprimés.
Si des locaux sont transformés et compensés par un propriétaire identique au sein d’une même unité foncière, dans le cadre d’une rationalisation des surfaces d’habitation de cette unité, la surface minimale exigée, au titre de la compensation, correspond à la surface des locaux transformés. »
B. La décision
Les juges européens estiment que la législation française est conforme en tout point au droit de l’Union Européenne.
Il est jugé que la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée constitue une raison impérieuse d’intérêt général justifiant la réglementation d’un Etat membre.
Il est souligné que « l’activité de location de locaux meublés de courte durée a un effet inflationniste significatif sur le niveau des loyers, en particulier à Paris et dans d’autres villes françaises ».
La ville de Paris et l’Etat avaient le droit d’instaurer un régime d’autorisation « proportionné à l’objectif poursuivi, clair, objectif, non arbitraire et transparent ».